Pour comprendre l’origine des Voies Bédouines qui font toute l’originalité de l’alpinisme à Wadi Rum, voici un texte à ne pas manquer. 

Crédit photos : Mario Verin – www.marioverin.it, Florian Strauss – Aventures Alpines, Yann Arthus Bertrand – GoodPlanet.

Les Voies Bédouines de Wadi Rum, par Bernard Domenech

Les bédouins connaissent depuis longtemps un grand nombre d’itinéraires sur leurs montagnes – 4 à 500 peut-être -, mais ils ne sont plus qu’une dizaine à les parcourir aujourd’hui. La mémoire est fragile et pourtant ces parcours d’escalade sont extraordinaires, parmi les plus beaux et les plus anciens au monde.

Il est important d’en garder la trace et de veiller à ce qu’ils restent tels qu’ils étaient au moment de leur découverte.

Ils permettent de passer d’une vallée à l’autre en franchissant un seuil, d’atteindre ou de traverser un plateau, une crête, un sommet, par un dédale de gorges baroques, de couloirs, de cheminées, de murs et d’arêtes fragiles, de vires miraculeusement suspendues, de dômes et de cuvettes aux sols squelettiques, piquées de genévriers torturés et où se mêlent sable fin et galets de quartz ronds et mats détachés de leurs rebords gréseux.

Leur parcours peut être assez bref, ou au contraire très long, de quelques dizaines de mètres à plus de deux kilomètres, et faire jusqu’à 600 mètres de dénivelé.
Ils conduisent en général à des postes d’observation, d’où on guettait l’arrivée des caravanes pour les protéger ou les piller – ce qui économiquement revenait à peu près au même –, tout en surveillant le passage du gibier.

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Mais si les antilopes et gazelles, qui ne manquaient pas, ont disparu des plaines, décimées, sur les sommets et leurs plateaux, difficiles d’accès, encore arborés et où l’eau reste plus longtemps, les bouquetins restent en nombre. On montait les chasser pour leur chair, succulente, et, par la même occasion, on redescendait des simples, réputées soigner bêtes et gens.

Avec des coins de bois, loin au-dessus du sol, on s’élevait dans des fissures larges pour récupérer le miel précieux d’essaims fixés au fond de leurs anfractuosités.
Ces itinéraires ne sont pas toujours commodes à déchiffrer. Leurs cheminements non seulement ne sont pas très évidents, mais ceux qui les ont découverts et fréquentés, il y a vraisemblablement très longtemps, ne les ont pas systématiquement “balisés”.
Ils n’utilisaient pas de cairns, mais parfois simplement, dressaient, comme un mur, une seule pierre plate et large pour indiquer une impasse – inutile donc d’y aller voir; ils entassaient des blocs sous un surplomb ou au pied d’un mur trop lisse, taillaient judicieusement quelques prises dans le grès tendre pour qu’elles tombent sous la main et facilitent un passage scabreux qu’ils redescendaient parfois lourdement chargés ; ils coinçaient une branche dans une fissure, ou un tronc d’arbre, et gravaient des signes qui, s’ils ne nous disent rien (et souvent ne disent rien non plus à ceux qui vivent aujourd’hui sur place), étaient pour eux des repères ou des indications.

  

Cette signalétique minimale suffit largement, encore maintenant, pour rester sur le “bon” chemin, si l’on est attentif à en repérer les marquages intentionnels et si l’on prend le temps d’en comprendre et d’en apprendre la logique.
Les choses étaient plus simples autrefois, bien sûr, car les parcours répertoriés passaient, dans un même groupe, d’une génération à l’autre. Même si tous ne les connaissaient pas, car il en est des terrains de chasse comme des coins à champignons : leur existence n’est pas dévoilée aux étrangers.
Mais avec le temps, ceux qui en étaient les gardiens ont disparu, la transmission s’est interrompue : oubliés et perdus, ils sont devenus mythiques (où est la poutre qui, jetée sur un siq, permettait de rejoindre le sommet sud du Jebel Rum ?).

Si la plupart sont anciens et remontent à un passé incertain, mais qui, parfois, peut être fixé – une inscription au beau milieu de l’un d’entre eux pourrait le faire remonter au moins à 600 de notre ère -, les autres sont contemporains.
On raconte qu’à la fin du XIXe siècle, Suleiman le Lézard est monté au sommet du Jebel um Ischrin, mais on ne se souvient plus par où : en tout cas, il en serait redescendu dans la face ouest en passant à l’arbre du Jour le plus Long (voie moderne des frères Rémy du milieu des années 1980)!

Mais c’est Hammad Hamdan qui a gravi le premier, seul et sans corde, en 1972, dans la face est du Jebel Ramm, et la voie qui porte désormais son nom, “Hammad’s Route” (5c), et “Les Yeux d’Allah” (Eyes of Allah, 5b).
Hammad était instructeur dans l’armée, il est garagiste à Wadi Ramm (1). Calme et fabuleux grimpeur, comme son père, Sheikh Hamdan, qui l’emmena, gamin, dans Al Thalamiya (2), qu’il avait déjà parcourue.
Al Thalamiya n’avait été faite que trois ou quatre fois auparavant, par les gens de l’époque, mais tous savaient qu’elle était beaucoup plus ancienne !

(1) Hammad Hamdan est décédé en 2010 et Bernard Domenech en 2008.
(2) Le parcours d’Al Thalamiya est considéré comme l’un des plus beaux du massif.

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